Relation des points d’acupuncture et des méridiens avec les plans de tissu conjonctif. Helene M. Langevin, Jason A. Yandow (31/12/2002)

INFORMATIONS BIOGRAPHIQUES

Le Dr Langevin est professeure adjointe de recherche en neurologie à la Faculté de médecine de l’Université du Vermont, ainsi qu’acupunctrice agréé. Ses domaines de recherche sont le mécanisme de l’acupuncture, les interactions entre le tissu conjonctif et le système nerveux, ainsi que les mécanismes de la douleur. M. Yandow est l’assistant de recherche qui a produit les photomontages présentés dans cette étude.

RÉSUMÉ

Les canaux d’acupuncture sont traditionnellement considérés comme des canaux reliant la surface du corps aux organes internes. Changeons de pont de vue et émettons l’hypothèse que le réseau de points d’acupuncture et de canaux peut être vu comme une représentation du réseau formé par le tissu conjonctif interstitiel. Cette hypothèse est soutenue par des images échographiques montrant des plans de clivage du tissu conjonctif aux points d’acupuncture chez des sujets humains normaux. Pour tester cette hypothèse, nous avons cartographié les points d’acupuncture dans des sections anatomiques grossières successives du bras humain. Nous avons trouvé une correspondance de 80 % entre les sites des points d’acupuncture et l’emplacement des plans de tissu conjonctif intermusculaire ou intramusculaire dans les sections de tissu post-mortem. Nous proposons que la relation anatomique des points d’acupuncture et des canaux avec les plans de tissu conjonctif soit pertinente pour le mécanisme d’action de l’acupuncture et l’on suggère un rôle intégratif potentiellement important pour le tissu conjonctif interstitiel. Anat Rec (New Anat) 269:257–265, 2002. © 2002 Wiley-Liss, Inc.

PRÉAMBULE SUR LES DIFFÉRENTS TISSUS DU CORPS HUMAIN

Dans le corps humain, il existe quatre types principaux de tissus :

  1. Le tissu épithélial : Ce tissu couvre les surfaces du corps et les cavités internes. Il protège, sécrète, absorbe et échange des substances. On le trouve dans la peau, les muqueuses, et les organes internes comme les poumons ou les intestins.
  2. Le tissu conjonctif : Ce tissu soutient et relie les autres tissus et organes du corps. Il comprend des sous-types comme le tissu conjonctif lâche, le tissu conjonctif dense (par exemple, les tendons et ligaments), le cartilage, les os et le sang. Le tissu conjonctif interstitiel, mentionné précédemment, fait partie de cette catégorie. C’est un type de tissu qui se trouve entre les cellules et les organes du corps. Il sert de support et de connexion, remplissant les espaces vides entre les différentes structures. Ce tissu est composé de fibres (comme le collagène) et d’une substance gélatineuse qui permet aux cellules de se maintenir ensemble et de se nourrir. Il joue aussi un rôle important dans la réparation des tissus endommagés et dans la transmission de signaux entre les cellules. En résumé, c’est un tissu qui soutient et relie les différentes parties du corps.
  3. Le tissu musculaire : Ce tissu est responsable du mouvement. Il y a trois types de tissu musculaire :
    • Le muscle squelettique : Responsable des mouvements volontaires.
    • Le muscle cardiaque : Trouvé uniquement dans le cœur, il permet les battements cardiaques.
    • Le muscle lisse : Trouvé dans les organes internes comme les intestins et les vaisseaux sanguins, il permet des mouvements involontaires.
  4. Le tissu nerveux : Ce tissu est responsable de la communication dans le corps. Il est constitué de cellules nerveuses (neurones) et de cellules de soutien (cellules gliales). Il permet de transmettre les signaux électriques entre le cerveau, la moelle épinière et le reste du corps.

Ces tissus travaillent ensemble pour maintenir le bon fonctionnement du corps humain.

INTRODUCTION

Lors des traitements d’acupuncture, de fines aiguilles sont traditionnellement insérées à des emplacements spécifiques du corps connus sous le nom de points d’acupuncture. Selon la théorie chinoise classique, les points d’acupuncture sont reliés entre eux par un réseau de « canaux » qui parcourent longitudinalement la surface du corps (Figure 1).

Malgré des efforts considérables pour comprendre l’anatomie et la physiologie des points d’acupuncture et des canaux, la définition et la caractérisation de ces structures restent difficiles à cerner. (NIH Consensus Statement, 1997).

L’objectif de cet article est de présenter des éléments de preuve soutenant un modèle conceptuel reliant la théorie traditionnelle chinoise de l’acupuncture à l’anatomie conventionnelle. Nous émettons l’hypothèse que le réseau de points d’acupuncture et de canaux peut être vu comme une représentation du réseau formé par le tissu conjonctif interstitiel et que cette relation est pertinente pour le mécanisme thérapeutique de l’acupuncture.

Figure 1
Les plans de tissu conjonctif associés aux canaux Yin sont plus profonds et situés à l’intérieur, par rapport aux plans généralement extérieurs et superficiels associés aux canaux Yang.

CONCEPTS TRADITIONNELS

Les tracés d’acupuncture sont traditionnellement considérés comme représentant des « canaux » à travers lesquels circule le « qi du canal » (Kaptchuk, 2000). Bien que le concept de « qi du canal » n’ait aucun équivalent physiologique connu, les termes utilisés dans les textes d’acupuncture pour décrire le terme plus général de « qi » évoquent des processus dynamiques tels que la communication, le mouvement ou l’échange d’énergie (O’Connor et Bensky, 1981). On pense que la perturbation du réseau des canaux est associée à la maladie, et que l’aiguilletage des points d’acupuncture constitue un moyen d’accéder à ce système et d’influencer son fonctionnement (Cheng, 1987).

Les graphiques représentant les points d’acupuncture et les canaux remontent à 300 avant J.-C. (Veith, 1949). Les cartes modernes d’acupuncture indiquent 12 canaux principaux « reliant » les membres au tronc et à la tête. En outre, de nombreux autres canaux « accessoires » sont également décrits, ainsi que des « branches internes » profondes qui commencent à des points spécifiques sur les canaux principaux et atteignent les organes internes. Les noms des canaux principaux (par exemple, poumon, cœur) représentent des fonctions physiologiques qui sont spécifiquement associées à chaque canal, plutôt qu’aux organes eux-mêmes, comme le poumon ou le cœur. Un canal nommé « Triple Réchauffeur » est considéré comme lié à l’équilibre thermique entre différentes parties du corps. Les points d’acupuncture se trouvent principalement le long des canaux, bien que des points « extra » en dehors du système des canaux soient également supposés exister. Bien que les textes et atlas d’acupuncture s’accordent généralement sur l’emplacement des canaux principaux, une variabilité considérable existe concernant le nombre et l’emplacement des branches internes et des points extra. Les caractères chinois « 针灸穴 (zhēn jiǔ xué) » signifiant « point d’acupuncture et moxibustion » signifie également « trou » (O’Connor et Bensky, 1981) ; ce qui donne l’impression que les points d’acupuncture sont des endroits où l’aiguille peut accéder à des composants plus profonds des tissus. Les manuels modernes d’acupuncture contiennent des graphiques visuels ainsi que des directives écrites pour localiser chaque point d’acupuncture. Ces directives font référence à des repères anatomiques (tels que les proéminences osseuses, les muscles ou les tendons) ainsi qu’à des mesures proportionnelles (par exemple, fraction de la distance entre le coude et le poignet) (Cheng, 1987). Lors des traitements d’acupuncture, les acupuncteurs utilisent ces repères et ces mesures pour déterminer l’emplacement de chaque point avec une précision d’environ 5 mm. La localisation précise du point dans cette plage est obtenue par palpation, au cours de laquelle l’acupuncteur recherche une légère dépression ou une sensation de souplesse des tissus sous une pression légère.

LES POINTS D’ACUPUNCTURE SONT-ILS DIFFÉRENTS DU TISSU ENVIRONNANT ?

Au cours des 30 dernières années, les études visant à comprendre le système des points et canaux d’acupuncture dans une perspective « occidentale » ont principalement cherché des caractéristiques histologiques (étude des tissus) distinctes qui pourraient différencier les points d’acupuncture du tissu environnant. Plusieurs structures, telles que les faisceaux neurovasculaires (Rabischong et al., 1975 ; Senelar, 1979 ; Bossy, 1984), les attaches neuromusculaires (Liu et al., 1975 ; Gunn et al., 1976 ; Dung, 1984) et divers types de terminaisons nerveuses sensorielles (Shanghai Medical University, 1973 ; Ciczek et al., 1985), ont été décrites au niveau des points d’acupuncture. Cependant, aucune de ces études n’a inclus d’analyses statistiques comparant les points d’acupuncture avec des points témoins « non-acupuncture ».

D’autres études se sont intéressées aux différences physiologiques possibles entre les points d’acupuncture et les tissus environnants. La conductance de la peau a été rapportée par plusieurs chercheurs comme étant plus élevée au niveau des points d’acupuncture par rapport aux points témoins (Reishmanis et al., 1975 ; Comunetti et al., 1995). Cependant, plusieurs facteurs sont connus pour affecter la conductance de la peau (par exemple, la pression, l’humidité, l’abrasion de la peau ; Noordegraaf et Silage, 1973 ; McCarroll et Rowley, 1979), et à ce jour, aucune étude n’a contrôlé ces facteurs tout en incluant un nombre suffisant d’observations pour confirmer ces résultats. Les tentatives d’identification des caractéristiques anatomiques et/ou physiologiques des points d’acupuncture sont donc restées pour la plupart sans conclusion définitive.

Les anciens textes d’acupuncture contiennent plusieurs références à des « membranes grasses et huileuses, fascias et systèmes de membranes connectives » à travers lesquels le qi serait censé circuler (Matsumoto et Birch, 1988), et plusieurs auteurs ont suggéré qu’il pourrait exister une correspondance entre les canaux d’acupuncture et le tissu conjonctif (Matsumoto et Birch, 1988 ; Oschman, 1993 ; Ho et Knight, 1998). Des travaux récents réalisés dans notre laboratoire ont commencé à fournir des preuves expérimentales en faveur de cette hypothèse. Nous avons caractérisé une réponse du tissu conjonctif à l’aiguilletage d’acupuncture qui est quantitativement différente au niveau des points d’acupuncture par rapport aux points témoins (Langevin et al., 2001b) et qui pourrait constituer un indice important sur la nature des points d’acupuncture et des canaux.

RÉPONSE BIOMÉCANIQUE DE L’AIGUILLETAGE : « LA PRISE DE L’AIGUILLE »

Un aspect important des traitements traditionnels d’acupuncture est que les aiguilles d’acupuncture sont manipulées manuellement après leur insertion dans le corps. La manipulation des aiguilles consiste généralement en une rotation rapide (avant-arrière ou dans une seule direction) et/ou un mouvement de piston (mouvement de haut en bas) de l’aiguille (O’Connor et Bensky, 1981). Pendant l’insertion et la manipulation de l’aiguille, l’acupuncteur cherche à déclencher une réaction caractéristique à l’aiguilletage connue sous le nom de « 得气 (dé qì) » ou « obtention du qi ». Pendant le dé qì, le patient ressent une sensation de douleur dans la zone autour de l’aiguille. En même temps que cette sensation, l’acupuncteur ressent une « traction » sur l’aiguille, décrite dans les textes chinois anciens comme « comme un poisson mordant sur une ligne de pêche » (Yang, 1601). Nous désignons ce phénomène biomécanique sous le terme de « prise de l’aiguille ».

Selon les enseignements traditionnels, le dé qì est essentiel à l’effet thérapeutique de l’acupuncture (O’Connor et Bensky, 1981). L’un des principes fondamentaux sous-jacents à l’acupuncture est que l’aiguilletage est censé être un moyen d’accéder et d’influencer le réseau des canaux. La réaction caractéristique de dé qì, perçue par le patient comme une sensation d’aiguilletage et par l’acupuncteur comme une prise de l’aiguille, est considérée comme une indication que cet objectif a été atteint (Cheng, 1987). Le phénomène biomécanique de la prise de l’aiguille, en conséquence, est au cœur de la construction théorique de l’acupuncture. La prise de l’aiguille est cliniquement améliorée par la manipulation (rotation, piston) de l’aiguille d’acupuncture. Dans des études antérieures sur l’homme et l’animal utilisant un instrument informatisé d’aiguilletage d’acupuncture (Langevin et al., 2001b, 2002), nous avons quantifié la prise de l’aiguille en mesurant la force nécessaire pour retirer l’aiguille d’acupuncture de la peau (force de retrait). Nous avons montré que la force de retrait est effectivement nettement augmentée par la rotation de l’aiguille. La prise de l’aiguille, par conséquent, est un phénomène tissulaire mesurable associé à la manipulation de l’aiguille d’acupuncture. Dans une étude quantitative de la prise de l’aiguille chez 60 sujets humains en bonne santé (Langevin et al., 2001b), nous avons mesuré la force de retrait à huit emplacements différents de points d’acupuncture, comparée avec des points témoins correspondants situés du côté opposé du corps, à 2 cm de chaque point d’acupuncture. Nous avons constaté que la force de retrait était en moyenne 18 % plus grande au niveau des points d’acupuncture qu’aux points témoins correspondants. Nous avons également constaté que la manipulation de l’aiguille augmentait la force de retrait tant aux points témoins qu’aux points d’acupuncture. La prise de l’aiguille, donc, n’est pas unique aux points d’acupuncture, mais elle est plutôt améliorée à ces points.

RÔLE DU TISSU CONJONCTIF DANS LA PRISE DE L’AIGUILLE

Bien que précédemment attribuée à une contraction des muscles squelettiques, nous avons montré que la prise de l’aiguille n’est pas due à une contraction musculaire, mais implique plutôt le tissu conjonctif (Langevin et al., 2001a, 2002). Dans des expériences in vivo et in vitro, nous avons trouvé que, pendant la rotation de l’aiguille d’acupuncture, le tissu conjonctif s’enroule autour de l’aiguille, créant ainsi un couplage mécanique serré entre l’aiguille et le tissu. Ce couplage aiguille-tissu permet à des mouvements supplémentaires de l’aiguille (rotation ou piston) de tirer et de déformer le tissu conjonctif entourant l’aiguille, envoyant ainsi un signal mécanique dans le tissu.

L’observation au microscope d’une aiguille d’acupuncture insérée dans le tissu sous-cutané de rat disséqué révèle qu’un « tourbillon » visible de tissu peut être produit avec seulement un tour de l’aiguille (Figure 2A). Lorsque l’aiguille est placée à plat sur la surface du tissu sous-cutané et puis tournée, le tissu a tendance à adhérer à l’aiguille en rotation pendant 180 degrés, moment où le tissu s’adhère à lui-même et une rotation supplémentaire entraîne la formation d’un tourbillon. Ce phénomène peut être observé avec divers types d’aiguilles d’acupuncture de matériaux différents (acier inoxydable, or), ainsi qu’avec d’autres objets qui ne sont normalement pas utilisés comme outils d’acupuncture, tels que des aiguilles hypodermiques ordinaires, des micropipettes en verre, du verre silicifié et des aiguilles recouvertes de Téflon. Un facteur important semble être le diamètre de l’aiguille en rotation. Les aiguilles d’acupuncture sont très fines (diamètre de 250 à 500 μm). Avec des aiguilles de plus de 1 mm de diamètre, le tissu suit invariablement l’aiguille en rotation pendant moins de 90 degrés, puis se rétracte, ne parvenant pas à s’adhérer à lui-même et à initier l’enroulement. Les forces d’attraction initiales entre l’aiguille en rotation et le tissu peuvent donc être importantes pour initier le phénomène d’enroulement. Celles-ci peuvent inclure la tension de surface et les forces électriques, et peuvent être influencées par les propriétés matérielles de l’aiguille.

Lorsque nous avons comparé deux aiguilles d’acupuncture de même diamètre, une aiguille réutilisable en or (ITO, Japon) et une aiguille jetable en acier inoxydable (Seirin, Japon), l’aiguille en or semblait initier l’enroulement plus facilement que celle en acier inoxydable. Les images de microscopie électronique à balayage des deux aiguilles (Figure 2B–D) ont montré que l’aiguille en or avait une surface plus rugueuse, ce qui pourrait avoir mieux « accroché » le tissu lors de l’initiation de l’enroulement. Ces observations suggèrent également que le couplage mécanique entre l’aiguille et le tissu peut se produire même lorsque l’amplitude de rotation de l’aiguille est très petite (moins de 360 degrés), comme c’est couramment utilisé en pratique clinique. Nous avons également montré qu’avec une rotation d’aiguille va-et-vient, qui est généralement préférée en clinique par rapport à une rotation dans une seule direction, l’enroulement alterne avec le déroulement, mais le déroulement est incomplet, ce qui entraîne une accumulation progressive du couple au niveau de l’interface aiguille-tissu (Langevin et al., 2001b).

L’importance d’établir un couplage mécanique entre l’aiguille et le tissu réside dans le fait que les signaux mécaniques (1) sont de plus en plus reconnus comme des médiateurs importants de l’information au niveau cellulaire (Giancotti et Ruoslahti, 1999), (2) peuvent être transduits en signaux bioélectriques et/ou biochimiques (Banes et al., 1995 ; Lai et al., 2000), et (3) peuvent entraîner des effets en aval, y compris la polymérisation de l’actine cellulaire, l’activation de voies de signalisation, des changements dans l’expression des gènes, la synthèse des protéines et la modification de la matrice extracellulaire (Chicurel et al., 1998 ; Chiquet, 1999). Les changements dans la composition de la matrice extracellulaire peuvent à leur tour moduler la transduction de futurs signaux mécaniques vers et au sein des cellules (Brand, 1997). Des preuves récentes suggèrent que la rigidité tissulaire et les potentiels électriques induits par le stress sont affectés par la composition de la matrice du tissu conjonctif (Bonassar et al., 1996) et que les changements dans la composition de la matrice en réponse au stress mécanique peuvent être une forme importante de communication entre différents types de cellules (Swartz et al., 2001). La manipulation de l’aiguille d’acupuncture pourrait ainsi entraîner une modification durable de la matrice extracellulaire autour de l’aiguille, ce qui pourrait à son tour influencer les différentes populations cellulaires partageant cette matrice de tissu conjonctif (par exemple, les fibroblastes, les afférences (fibres nerveuses) sensorielles, les cellules immunitaires et vasculaires).

De plus, nous avons émis l’hypothèse précédemment que, à proximité de l’aiguille, la polymérisation de l’actine induite par l’acupuncture dans les fibroblastes du tissu conjonctif pourrait provoquer la contraction de ces fibroblastes, entraînant un tirage supplémentaire des fibres de collagène et une « vague » de contraction du tissu conjonctif et d’activation cellulaire se propageant à travers le tissu conjonctif (Langevin et al., 2001a). Ce mécanisme pourrait expliquer le phénomène de « sensation propagée », c’est-à-dire la lente propagation de la sensation de de qi parfois rapportée par les patients le long du trajet d’un canal d’acupuncture (Huan et Rose, 2001).

Figures 2A, 2B, 2C et 2D
A : Formation d’un « tourbillon » de tissu conjonctif avec la rotation de l’aiguille. Le tissu conjonctif sous-cutané de rat a été disséqué et placé dans un tampon physiologique sous un microscope de dissection. Une aiguille d’acupuncture a été insérée à travers le tissu et progressivement tournée. Les chiffres de 0 à 7 indiquent le nombre de révolutions de l’aiguille. Un tourbillon visible de tissu conjonctif peut être observé avec seulement une révolution de l’aiguille.
B : Imagerie par microscopie électronique à balayage d’aiguilles d’acupuncture en or réutilisables (gauche) et en acier inoxydable jetables (droite). Agrandissement original, 350×. C, D : Microscopie électronique à balayage des aiguilles en or (C) et en acier inoxydable (D). Agrandissement original, 3 500×. La surface de l’aiguille en or est visiblement plus rugueuse que celle de l’aiguille en acier inoxydable. Barres d’échelle = 2,5 mm en A, 100 μm en B, 10 μm en C et D.

CORRESPONDANCE DES POINTS D’ACUPUNCTURE ET DES CANAUX AVEC LES PLANS DE TISSU CONJONCTIF Les canaux d’acupuncture ont tendance à être localisés le long des plans fasciaux entre les muscles, ou entre un muscle et un os ou un tendon (Cheng, 1987). Une aiguille insérée sur le site d’un plan de clivage (lieu de moindre résistance) du tissu conjonctif pénétrera d’abord le derme et le tissu sous-cutané, puis le tissu conjonctif interstitiel plus profond. En revanche, une aiguille insérée loin d’un plan de tissu conjonctif pénétrera le derme et le tissu sous-cutané, puis atteindra une structure comme un muscle ou un os. Parce que la prise de l’aiguille implique une interaction entre l’aiguille et le tissu conjonctif (Langevin et al., 2002), la réponse améliorée de prise de l’aiguille aux points d’acupuncture peut être due au fait que l’aiguille entre en contact avec plus de tissu conjonctif (sous-cutané plus fascia profond) à ces points. La présence de la prise de l’aiguille à la fois aux points de contrôle et aux points d’acupuncture est cohérente avec la présence de tissu conjonctif (sous-cutané) à tous les points. Ce concept est illustré dans la Figure 3A qui montre des images par ultrasons du même point d’acupuncture et du point de contrôle correspondant chez deux sujets humains normaux. Le point d’acupuncture est situé sur la peau recouvrant le plan fascial séparant les muscles vastus lateralis et biceps femoris sur la cuisse (Figure 3B). Le point de contrôle, situé à 3 cm du point d’acupuncture, se trouve au niveau du ventre du muscle vastus lateralis.

Figure 3A et 3B
Imagerie par ultrasons des points d’acupuncture (AP) et des points de contrôle (CP). Le point d’acupuncture GB32 (Figure 3C) a été localisé par palpation chez deux volontaires humains normaux, ainsi qu’un point de contrôle situé à 3 cm du point d’acupuncture. Après avoir marqué les deux points avec un marqueur cutané, l’imagerie par ultrasons a été réalisée avec une machine Acuson équipée d’une sonde linéaire de 7 MHz. Un plan de clivage intramusculaire du tissu conjonctif visible peut être observé au niveau des points d’acupuncture, mais pas aux points de contrôle. (V.Lat : vastus lateralis ; B. Fem. : biceps femoris ; Sc, tissu sous-cutané. Pour étudier l’hypothèse selon laquelle les points d’acupuncture sont préférentiellement situés au-dessus des plans fasciaux, nous avons marqué l’emplacement de tous les points d’acupuncture et des canaux dans une série de sections anatomiques macroscopiques du bras humain (CD Visible Human de Research Systems, Boulder, CO).

LES POINTS D’ACUPUNCTURE SONT PRÉFÉRENTIELLEMENT SITUÉS SUR LES PLANS FASCIAUX

Pour examiner cette hypothèse, nous avons marqué l’emplacement de tous les points d’acupuncture et méridiens sur une série de sections anatomiques macroscopiques du bras humain (Research Systems Visible Human CD, Boulder, CO) (Figure 4).

Les points d’acupuncture et les intersections des canaux ont été localisés selon des directives écrites (basées sur des repères anatomiques et des mesures proportionnelles) et des cartes d’acupuncture fournies dans un ouvrage de référence majeur de l’acupuncture traditionnelle chinoise (Cheng, 1987). Étant donné que les plans de tissu conjonctif étaient visibles sur les coupes anatomiques, chaque effort a été fait pour minimiser les biais en suivant ces directives de manière aussi objective que possible. Sur un sujet vivant, la palpation est utilisée pour localiser précisément les points d’acupuncture une fois que la localisation approximative a été déterminée en utilisant des repères anatomiques et des mesures proportionnelles. Pour certains points, des parties du corps sont manipulées et positionnées d’une manière spécifique pour effectuer cette palpation. Dans le cas de nos coupes post-mortem, les points devaient être localisés dans la position anatomique sans le bénéfice de la palpation. Lorsque les descriptions écrites faisaient référence à des repères anatomiques palpables dans la position anatomique (comme le processus olécranien ou le tendon du biceps), nous avons utilisé la position des os, des tendons et des muscles dans les coupes transversales pour déterminer où ces repères auraient été palpables à la surface du corps. Pour les points où la palpation est traditionnellement effectuée dans une position autre que la position anatomique, nous nous sommes guidés sur (1) des cartes provenant des manuels d’acupuncture dessinées en position anatomique, et (2) un modèle humain vivant sur lequel nous avons localisé les points d’acupuncture en les palpant dans la position spécifiée dans le manuel, puis placé le bras du modèle dans la position anatomique (Figure 1). Les directives des manuels faisant référence à des mesures proportionnelles (comme une fraction de la distance entre le pli du coude et le pli axillaire) sont traditionnellement définies dans la position anatomique. Nous avons donc pu appliquer ces mesures directement aux coupes de tissus post-mortem en déterminant les numéros de coupe appropriés en fonction de l’intervalle des sections et en effectuant des mesures sur des coupes transversales individuelles.

En utilisant ces directives, nous avons marqué trois points d’acupuncture sur le canal du cœur (H3, H2, H1), deux points sur le canal de l’enveloppe du cœur (P3, P2), cinq points sur le canal des poumons (L5, L4, L3, L2, L1).

Puis, quatre points sur le canal du gros intestin (LI11, LI12, LI13, LI14), cinq points sur le canal du triple réchauffeur (SJ10, SJ11, SJ12, SJ13, SJ14) et quatre points sur le canal de l’intestin grêle (SI8, SI9, SI10, SI11), pour un total de 23 points d’acupuncture. Les canaux se croisaient avec le plan de coupe à 51 autres endroits qui n’étaient pas des points d’acupuncture.

Comme le montre la figure 4, trois des six canaux comprenaient des portions qui suivaient des plans fasciaux entre les muscles (biceps/triceps [canal du cœur, figure 4, sections 2–7], biceps/brachial [canal des poumons, figure 4, sections 4–5], et brachial/triceps [canal du gros intestin, figure 4, sections 3–5]). Certains points sur ces canaux (H2, LI14, H1) semblaient également être situés à l’intersection de deux ou plusieurs plans fasciaux. Deux autres canaux comprenaient des portions qui suivaient des plans de clivage intramusculaire [entre les têtes du biceps (canal de l’enveloppe du cœur, figure 4, sections 5–7) et des triceps (canal du triple réchauffeur, figure 4, sections 2–6)]. Un canal (celui de l’intestin grêle) ne suivait lui-même aucun plan inter- ou intramusculaire reconnaissable. Cependant, trois des quatre points d’acupuncture sur cette portion du canal (SI9, 10 et 11) coïncidaient clairement avec l’intersection de plusieurs plans fasciaux. Globalement, plus de 80 % des points d’acupuncture et 50 % des intersections de canal du bras semblaient coïncider avec des plans de tissu conjonctif intermusculaires ou intramusculaires.

Pour estimer la probabilité que cet événement soit dû au hasard, nous avons testé un modèle représentant la portion médiane du bras (sections 2–7) approximée à un cylindre de 12,5 cm de long et 30 cm de circonférence, et comprenant huit points d’acupuncture et 28 intersections de canaux. En supposant que la largeur moyenne des cinq principaux plans fasciaux du bras (triceps/triceps, biceps/brachial, brachial/triceps, entre les têtes des triceps et entre les têtes des biceps) soit de 1/60 de la circonférence du cylindre (soit environ 5 mm), 1/12 de la surface du cylindre se croisera avec un plan fascial. Si nous supposons également que la « largeur » d’un point d’acupuncture est de 5 mm, la probabilité qu’un point aléatoire dans une section donnée du cylindre tombe sur un plan fascial est de 1/12 ou 0,083. En utilisant la distribution hypergéométrique (échantillonnage sans remise), la probabilité que six ou sept des huit points (75 % ou 87 %) distribués de manière aléatoire dans six sections à travers le cylindre tombent sur des plans fasciaux est P < 0,001. De même, en prenant 5 mm comme « largeur » d’un canal, la probabilité que 14 des 28 intersections de canaux (50 %) tombent sur des plans fasciaux est également P < 0,001.

Ces résultats suggèrent que la localisation des points d’acupuncture, déterminée empiriquement par les anciens Chinois, était basée sur la palpation de sites discrets ou de « trous » où l’aiguille peut accéder à des quantités plus importantes de tissu conjonctif. Certaines portions des canaux suivent clairement un ou plusieurs plans successifs de tissu conjonctif, tandis que d’autres semblent simplement « relier les points » entre les endroits d’intérêt. Sur la base de ces résultats et de nos précédentes recherches expérimentales (Langevin et al., 2001b, 2002), nous proposons que les cartes d’acupuncture puissent servir de guide pour insérer l’aiguille dans les plans de tissu conjonctif interstitiels, où la manipulation de l’aiguille peut produire un stimulus mécanique plus important. Un effet thérapeutique plus important aux points d’acupuncture pourrait être au moins partiellement expliqué par des signaux mécaniques plus puissants et des effets en aval à ces points.

Nous avons choisi le bras pour cette étude car il offre une anatomie relativement simple et des plans fasciaux largement espacés (par rapport, par exemple, à l’avant-bras) et aussi parce que le bras illustre comment les canaux et les plans de tissu conjonctif « relient » le bras à la ceinture scapulaire et à la poitrine (voir ci-dessous). Cependant, nous nous attendons à ce que des résultats similaires soient obtenus dans d’autres régions du corps. Dans l’avant-bras, la jambe et la cuisse, les canaux semblent également généralement suivre les plans de tissu conjonctif séparant les muscles ou à l’intérieur des muscles. Sur le tronc, les canaux proches de la ligne médiane (rein, estomac, rate et vessie) suivent une orientation longitudinale à l’avant et à l’arrière, tandis que les canaux plus latéraux (foie, vésicule biliaire) suivent une orientation oblique, parallèlement à l’orientation des principaux groupes musculaires et des plans de tissu conjonctif qui les séparent. Sur le visage, les canaux se croisent dans un motif complexe compatible avec la structure complexe des muscles faciaux et du tissu conjonctif.

Figure 4
Emplacement des points d’acupuncture et des canaux dans des coupes anatomiques grossières successives à travers un bras humain. L’intervalle entre les sections correspondait à un « cun » ou pouce anatomique (une unité de mesure proportionnelle utilisée dans les manuels d’acupuncture pour localiser les points d’acupuncture), représentant 1/9 de la distance entre le pli du coude et le pli axillaire (dans ce cas, 2,5 cm). Cet intervalle de section nous a permis d’inclure tous les points d’acupuncture situés sur les six canaux principaux du bras entre l’olécrane (Figure 4, section 0) et le bord supérieur de la tête humérale (Figure 4, section 12). Dans chaque section, nous avons marqué tous les points d’acupuncture et l’intersection de tous les canaux avec le plan de section (intersection des canaux).

RÉSEAU DES CANAUX et DES TISSUS CONJONCTIFS

Les canaux d’acupuncture sont considérés comme formant un réseau à travers le corps, reliant les tissus périphériques entre eux et aux viscères centraux (Kaptchuk, 2000). Le tissu conjonctif interstitiel correspond également à cette description. Le tissu conjonctif « lâche » interstitiel (y compris le tissu sous-cutané) constitue un réseau continu enveloppant tous les muscles, os et tendons des membres, s’étendant dans les plans de tissu conjonctif des ceintures pelvienne et scapulaire, des parois abdominales et thoraciques, du cou et de la tête. Ce réseau de tissu est aussi continu avec des tissus conjonctifs plus spécialisés tels que le périoste, le périmysium, le périnèvre, la plèvre, le péritoine et les méninges. Une forme de signalisation (mécanique, bioélectrique et/ou biochimique) transmise par le tissu conjonctif interstitiel peut donc avoir des fonctions intégratives potentiellement puissantes. De telles fonctions intégratives peuvent être à la fois spatiales (« connecter » différentes parties du corps) et transversales entre les systèmes physiologiques (le tissu conjonctif pénètre tous les organes et entoure tous les nerfs, vaisseaux sanguins et lymphatiques). De plus, étant donné que la structure et la composition biochimique du tissu conjonctif interstitiel sont sensibles aux stimuli mécaniques, nous proposons que le tissu conjonctif joue un rôle clé dans l’intégration de plusieurs fonctions physiologiques (par exemple, sensorimotrices, circulatoires, immunitaires) avec les niveaux ambiants de stress mécanique. L’une des caractéristiques marquantes de la théorie de l’acupuncture est que la stimulation de points d’acupuncture sélectionnés de manière appropriée a des effets éloignés du site d’insertion de l’aiguille, et que ces effets sont médiés par le système des canaux d’acupuncture (O’Connor et Bensky, 1981). À ce jour, les modèles physiologiques tentant d’expliquer ces effets à distance ont invoqué des mécanismes systémiques impliquant le système nerveux (Ulett et al., 1998; Pomeranz, 2001). Un mécanisme impliquant initialement la transduction du signal à travers le tissu conjonctif, avec une implication secondaire d’autres systèmes, y compris le système nerveux, est potentiellement plus proche de la théorie traditionnelle de l’acupuncture chinoise, tout en étant également compatible avec les mécanismes neurophysiologiques proposés précédemment.

MODÈLE CONCEPTUEL DES POINTS D’ACUPUNCTURE ET DES CANAUX

Plutôt que de considérer les points d’acupuncture comme des entités discrètes, nous proposons que les points d’acupuncture correspondent à des sites de convergence dans un réseau de tissu conjonctif traversant l’ensemble du corps, similaire à des intersections d’autoroutes dans un réseau de routes primaires et secondaires. L’un des problèmes les plus controversés dans la recherche en acupuncture est de savoir si la stimulation des points d’acupuncture a des effets physiologiques et thérapeutiques « spécifiques » par rapport aux points non-acupuncture (Déclaration de consensus du NIH, 1997). En utilisant l’analogie des routes, l’interaction d’une aiguille d’acupuncture avec le tissu conjonctif se produira même au niveau de la plus petite « route secondaire » du tissu conjonctif. Cependant, stimuler une « intersection majeure » d’autoroute pourrait avoir des effets plus puissants, peut-être en raison de l’alignement des fibres de collagène conduisant à une transduction de force plus efficace et à une propagation du signal à ces points.

En résumé, la correspondance anatomique des points d’acupuncture et des canaux avec les plans de tissu conjonctif dans le bras suggère des explications physiologiques plausibles pour plusieurs concepts importants de la médecine traditionnelle chinoise résumés dans le Tableau 1. Nous proposons que la manipulation de l’aiguille d’acupuncture produise des changements cellulaires qui se propagent le long des plans de tissu conjonctif. Ces changements peuvent se produire indépendamment de l’endroit où l’aiguille est placée, mais peuvent être renforcés lorsque l’aiguille est placée aux points d’acupuncture. Ce modèle conceptuel serait renforcé par une enquête élargie sur l’ensemble du corps, y compris les membres inférieurs, le tronc et la tête. L’anatomie des points d’acupuncture et des canaux pourrait ainsi être un facteur important pour commencer à lever le voile du mystère entourant l’acupuncture.

Tableau 1. Résumé du modèle proposé des effets physiologiques observés dans l’acupuncture

Concepts de la médecine traditionnelle chinoiseÉquivalents anatomiques/physiologiques proposés
Canaux d’acupuncturePlans de tissu conjonctif
Points d’acupunctureConvergence des plans de tissu conjonctif
QiSomme de tous les phénomènes énergétiques du corps (par exemple, métabolisme, mouvement, signalisation, échange d’informations)
Qi des canauxSignalisation biochimique/bioélectrique du tissu conjonctif
Blocage du qiAltération de la composition de la matrice du tissu conjonctif entraînant une altération de la transduction du signal
Prise de l’aiguilleEnroulement du tissu et/ou contraction des fibroblastes autour de l’aiguille
Sensation de de qiStimulation des mécanorécepteurs sensoriels du tissu conjonctif
Sensation de de qi propagéeVague de contraction du tissu conjonctif et stimulation des mécanorécepteurs sensoriels le long des plans de tissu conjonctif
Restauration du flux du qiActivation cellulaire/expression génique conduisant à la restauration de la composition de la matrice du tissu conjonctif et de la transduction du signal

Remerciements (感恩 gǎn’ēn gratitude)

Nous remercions James R. Fox, M.S., Bruce J. Fonda, M.S., John P. Eylers, Ph.D., Gary M. Mawe, Ph.D., William L. Gottesman, M.D., Junru Wu, Ph.D., et Douglas J. Taatjes, Ph.D., pour leur précieuse assistance. Les données du Visible Human Project Initiative ont été mises à disposition par la National Library of Medicine et l’Université du Colorado. Cette étude a été partiellement financée par la National Institutes of Health Center for Complementary and Alternative Medicine Grant RO1AT-00133.

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